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7 juin 2007 4 07 /06 /juin /2007 14:13
Je regardai ma montre et il sonnait 13h20mns. A cette heure d'autres jours, je serai déjà entrain de déjeuner. Mais aujourd'hui, mon dernier client m'en a enlevé toute enfin. Comment puis-je manger après tout ce que je viens de vivre? Je retournai dans les toilettes pour me débarbouiller un coup ; je bu une gorgée d’eau et respirai un coup. Je me mirai et me rendis compte de quelle chance j’avais en étant ce que je suis !
Mon nom est Norah et je suis conseillère clientèle dans une importante banque de la place ; ma banque est la première qui s’est installée juste avant la chute d’un certain régime de mon pays et aujourd’hui détient la plus grande part de marché ; tout le monde presque y a un compte courant ou épargne ; c’est même la banque choisie par l’Etat pour domicilier le compte de ses agents ; bref, c’est une banque qui a encore cent bonnes années à vivre.
Il faut avouer que j’ai une sacrée chance de travailler dans cette banque ; tout le monde veut y travailler et l’entrée y est assez difficile ; pour moi, cela s’est fait tout bêtement ! à la sortie du super marché un jour, j’ai croisé Tonton Mathieu, un vieil ami à mon père ; il m’a demandé ce que je faisais et je lui ai répondu que je finissais ma licence en gestion de banque et il a demandé à ce que je lui amène un curriculum vitae à la maison et c’est ce que j’ai fait ; quelques semaines après, j’ai été convoquée à la banque pour un entretien puis des tests qui ma foi, n’étaient pas des parties de récréation. Mais comme d’habitude, j’ai toujours mis du sérieux dans ce que je fais et depuis deux ans et demi, je travaille dans cette banque où ma carrière ne fait que connaître des bonds !
Depuis 7 mois, j’ai été mutée à notre nouvelle agence qui s’occupe uniquement d’octroie de crédit aux clients ; ici, on reçoit de tout : des demandes de crédit pour l’immobilier, pour l’achat de biens mobiliers, de véhicule, d’équipement, de bourse etc. toute la journée, il faut discuter, argumenter, expliquer et toujours la même chose ; au fait, il y a des jours, j’avouerai volontiers que j’adore ce que je fais car je me sens utile à quelque chose : les personnes travaillant à la banque sont souvent perçues comme étant très froides et professionnelles ; leur vêtement de couleur souvent sombre et leur mine implacable ne fait que confirmer cette image qui leur enlève souvent tout caractère humain ; avec mon nouveau poste, je discute avec les clients et quand ils arrivent enfin à avoir ce qu’ils désirent, il y a ce « merci » très reconnaissant et chaleureux qui m’allège le cœur et me confirme mon utilité pour la société entière. Mais par contre ce que je déteste, c’est que certaines personnes croient qu’en tant qu’institution financière, nous sommes obligés de donner de l’argent pour tout et que nous en faisons trop en prenant des garde-fous pour être certains d’être remboursé ! Ou encore cette impression qu’a tout le monde de croire que parce que je travaille à la banque, la caisse m’appartient et que je ne peux manquer en aucun cas de l’argent ; tu vois donc tes propres amis et parents attendre que tu en sortes plus qu’eux dans toutes les circonstances.
Aujourd’hui, j’aurais donné n’importe quoi pour ne pas avoir reçu ce client, mon dernier. Au fait, je ne sais pas pourquoi mais cette semaine, c’est la troisième fois que je l’ai aperçu ; il y a deux jours, il été là ! Vêtu de cette même chemise bleue carrelée pâlie par les intempéries et ce pantalon assez vieux ; il était assis sur le dernier banc et je l’avais aperçu vers la fin de l’heure ; hier, c’était dans le couloirs de ma voisine que je l’ai aperçu et je crois même qu’elle l’a reçu pendant un bout de temps. Aujourd’hui, je ne sais pas par quel genre de miracle, il était encore là mais cette fois ci, on dirait qu’il l’a fait exprès pour être de mes clients ! il faut reconnaître qu’à la banque, on se sent plus à l’aise pour discuter avec des clients plutôt bien appareillés ; l’habit ne fait pas le moine dit-on mais avouons que dans certains domaines, il sert à la reconnaître. J’avais même remarqué que mon client s’arrangeait pour passer en dernier ; il y a plus de deux heures avant la fin de l’heure de fermeture que je l’ai remarqué mais j’ai bien pu le recevoir qu’à peine trois quart heure avant la fin.
Il se présenta à moi et me tendit la fiche préalablement à remplir qui était disponible sur la petite table du salon d’attente. Sur cette fiche, était inscrit des renseignements tels que : identification du client (Nom, Prénoms, adresses postales, téléphoniques et électriques, type et numéros de compte dans l’établissements, crédits en cours ou non). En un rapide coup d’œil, je sus qui c’était et en un clic, j’eus accès à son dossier. Mais comme la discrétion du métier le demande, je lui dis quand même :
-          Bonjour Mr Bossou, que puis-je pour vous ?
-          Bonjour Mlle ; je suis venu solliciter un crédit de cent mille francs
-          Oui, mais avant, vous devez me remplir cette autre fiche. Je lui tendis une deuxième fiche plus détaillée qui se trouve elle à notre niveau ; sur cette fiche, il est demandé entre autres questions plus précises le futur emploi à faire avec l’argent demandé par le client. Il prit la fiche et la remplit soigneusement.
-          Merci Mr ; donc je lis là que vous aviez déjà deux crédits en cours cette année ?
-          Oui ; à la rentrée, j’ai demandé un crédit pour payer la scolarité des enfants et pendant les fêtes de fin d’année, j’avais fait pareil !
-          Je vois ; je ne savais plus quoi dire effectivement ! son dossier n’est pas bon du tout ; il est même au rouge et aucune banque n’accepterait de lui octroyer en ce moment un crédit ; et en plus, c’est un fonctionnaire d’Etat et avec ce qu’il gagnait, cela n’arrange rien.
-          Il y a un souci et vous ne vouliez pas me le dire, Mlle ?
-          Bon, pas en tant que tel, lui répondis-je embarrassée.
-          Si au contraire ; soyez franc avec moi ; depuis deux jours, on me demande incessamment de revenir un autre jour sans me donner une réponse directe
J’étais au plus mal ; je ne sais pas ; il y a quelque chose en lui qui me rend mal à l’aise : est-ce sa situation ? Ses habits usés ? Non, je dirai plutôt ce regard triste et désespéré qu’il m’adresse ! Je déteste ça ! C’est comme pour me dire : « toute ma vie est entre tes mains ». Rien que pour me responsabiliser de ses malheurs et pour ne pas ménager mes scrupules.
-          Je vous comprends Mr, mais je préfère être franche avec vous : votre demande de crédit est irrecevable !
-          On me l’a déjà dit hier ; mais, il n’y a-t-il rien qu’on puisse faire pour moi ? j’ai besoin de cet argent et le plus tôt possible ; je vous en supplie, Mlle.
-          Je suis chargée de l’étude des dossiers et votre dossier ne répond à aucun de nos critères ; de plus, vous aviez contracté déjà deux crédits qui ne sont pas encore remboursés ; vous êtes à peine à votre quotité cessible et je n’y peux rien !
-          Je le sais Mlle ; la premier crédit était pour la rentrée ; j’ai ma fille qui rentrait à l’université et mon quatrième enfant au collège ; sans crédit, je ne pouvais leur assurer les frais de scolarité et l’achat de fourniture ; en décembre, c’était juste pour avoir des fêtes décentes ; en novembre, je venais d’enterrer ma grande mère et je n’avais plus un sous en poche ; s’il vous plait, faites quelque chose pour moi ; je veux juste cent mille francs pas plus !
-          Personnellement Mr, si cela dépendait de moi, je vous comprends aisément et cela n’aurait posé aucun problème ; mais, ce sont les règles de la maison et je n’y peux rien. Je relu encore une fois sa fiche qui était restée dans ma main et remarquai qu’il avait inscrit « raison familiale pour expliquer la demande de crédit. Je levai la tête pour lui demander ce qu’il en était réellement et ce que je vis me sidéra : mon cher client était en train de pleurer silencieusement ; il avait mis son coude sur ma table, les paumes ouvertes appliquées sur ses tempes et ses yeux qui coulaient silencieusement le long de ses joues. Je restai sans voix à le regarder pendant deux minutes puis je me ressaisis ; je pris un mouchoir en papier dans mon tiroir et je le lui tendis. Il le prit et s’essuya mais je remarquai que les larmes redoublaient encore de plus belle.
-          Reprenez-vous je vous en prie ! les choses finiront bien par s’arranger Mr !
J’étais consciente que ce que je disais n’avant aucun sens pour lui mais j’avais besoin de masquer mon désarroi face à ce spectacle humiliant ; après tout, il pouvait bien être mon papa ; ainsi, il a des enfants qui ont mon âge et pour lesquels ils se bat continuellement ; sur la fiche, sa paye fait à peine le tiers de ce que je gagne et il a cinq enfants scolarisés en charge. Ce ne doit pas être assez facile à vivre ! Il finit par se ressaisir et me dit :
-          Pensez ma fille que je ne pleure pas parce que vous ne pouvez pas me donner l’argent demandé ; je m’en doutais avant de venir mais la banque est mon dernier recours ; je dois déjà à pas mal de gens et personne n’acceptera me faire de prêts !
-          Je vois….
-          Je pleure parce que même un enterrement digne, je ne suis pas capable de le lui donner !
-          Enterrement ? qui donc ? vous voulez de l’argent pour enterrer qui Mr ?
-          Mon fils, mon fils aîné ! j’ai perdu il y a quelques jours mon fils aîné
-          Je suis désolée Mr !
-          Il ne faut pas ma chère, vous n’y êtes pour rien ; il est mort des suites d’un accès palustre ! rien que du paludisme ! mon cher enfant, il est en terminal et il est si brillant ! la maladie l’a emporté en trois jours, le temps de réaliser ce que c’était et c’est fini ; depuis, sa maman ne cesse de pleurer. Tant qu’il n’est pas enterré, elle va souffrir ; nous sommes de pauvres gens ; ma famille a déjà cotisé pour la tombe et je ne peux pas leur demander plus ; son école a cotisé pour payer la morgue et mes collègues veulent bien prendre en charge la veillée mortuaire et le corbillard ; mais moi son papa, il faut bien que j’offre un cercueil à mon fils et que je veille aux menus dépenses ; il n’a que dix-neuf ans et je veux lui offrir un enterrement sobre et discret ! je ne demande que cela. Aidez-moi !
Depuis qu’il parlait, je sentais la nausée monter en moi ! Je me levai et me précipitai dans les toilettes pour vomir !
Je ne savais d’où tout cela venait mais je vomis un long moment ! Je vomis la colère, je vomis la pitié, je vomis l’injustice sociale, je vomis la misère ; je me débarbouillai et me mirai. Dans le miroir, ce que je vis me fis peur : en face de moi, j’avais le reflet d’une personne qui avait tout, qui n’avait jamais souffert car la vie avait tout apprêté pour elle ; que n’avais-je pas eu ? Une bonne éducation, de bonnes écoles, toujours l’argent de poche, un bon emploi, un bon salaire ; oui, j’ai un bon poste et je suis bien payée pourtant, je vis encore chez mes parents, je mange toujours à la maison et les parents s’occupent des différentes factures. Je ne suis inquiétée de rien. Combien voulait ce monsieur ? Rien que cent mille francs! Combien ai-je dans mes différents comptes bancaires ? Je n’en sais rien ; les virements tombent de part et d’autres (boulots, fiancés, amis, prestations de services etc.), je dépense sans compter mais il y a toujours et toujours de l’argent dans ces comptes. Et quelle image était-ce de l’autre côté ?
Un père de famille qui veut juste cent mille francs pour les obsèques décents pour son fils ; pour moi, qu’est ce que cent mille francs ? Un après midi de shopping au centre commercial ? Deux complets d’habits chez ma couturière ? Une pièce de rechange pour mon véhicule ? Un week-end à la « casa del papa » ? Au fait, rien qui vraiment puisse alarmer mes finances ! J’avais honte des facilités que la vie m’avait donné et perplexe à la façon dont cette réalité m’avait été jetée au visage. Que faire ?
De toute manière, la banque ne pouvait rein faire ; son dossier est « pourri » comme nous le disons dans notre jargon ; je ne peux oser le présenter à mon supérieur hiérarchique, il serait carrément contre ! Et il n’était pas question que je prenne des risques professionnels en validant cette demande ; cela peut passer mais très rapidement, cela se verrait et il faudrait alors à ce moment rendre compte. Que faire ?
Soudain, je compris que faire ! Je m’essuyai rapidement le visage et repartis vers mon poste où le client était toujours assis, et je pu constater heureusement qu’il s’était calmé.
- Très bien Mr, je crois que je peux quelque chose pour vous ; mais s’il vous plait, pouvez-vous vous mettre sur le banc au fond là-bas ?
-          Cela va-t-il prendre beaucoup de temps ?
-          Juste le temps que je reçoive le dernier client ; il nous attends depuis et nous avions pris beaucoup de temps vous et moi ; je vois qu’il s’impatiente et il est presque l’heure.
-          D’accord ; je suis là depuis et je peux bien attendre ; si cela peux m’aider à avoir ce que je veux.
-          Vous l’aurez, lui assurai-je avec un sourire qui se voulait forcé.
Il se leva et alla s’asseoir au fond de la salle et je reçu le dernier client avec qui je passai également presque trente minutes. Maintenant, la salle était vide et ma collègue de sa box, s’apprêtait à aller déjeuner ; elle me fit un signe pour désigner le Mr en ayant l’air de vouloir comprendre sa présence mais je fis mine de ne pas comprendre, elle l’avait déjà reçu hier et connaissait donc son dossier ; mais le boulot était fini et ce que j’allais faire avec mon client ne regardait que moi ;
Je rangeai mes effets et pris mon sac et me dirigeai droit vers mon client ; je m’assis à côté de lui et il paru étonné.
- Vous avez fermé ?
- Oui ; c’est l’heure de la pause ; nous revenons dans une heure et demie
- Il faudrait que je revienne l’après midi encore ? Je croyais que vous m’aviez promis de faire quelque chose !
- Si, je ferai quelque chose pour vous Mr. En parlant, je sortis l’un de mes chéquiers de mon sac. Vous allez passer l’après midi mais pour plutôt encaisser ce chèque ; je lui remplis un chèque de deux cent mille francs !
Il était ébahi et sa main tendue pour prendre le chèque tremblait !
-          C’est un prêt ? vous me prêtez des sous ? vous ne me connaissez même pas !
-          Effectivement, je ne vous connais pas ; mais vous m’avez suffisamment parlé pour que je comprenne que vous avez besoin de cet argent. Prenez le ! je ne vous le prête pas ! c’est ma participation aux obsèques de votre fils !
-          Je ne peux pas ! répondit-il ! je ne peux pas vous imposer ça ! je suis pauvre mais encore fier ! c’est ça, vous aviez pitié de moi ? du coup, son ton devint agressif !
-          Calmez-vous ! vous pouvez être mon papa et votre fils mon frère ; je veux juste participer aux obsèques de mon frère !
-          Soit, mais je refuse que vous me donniez cet argent ; je suis prêt à vous signer une décharge, à m’engager à vous payer dès que je le peux !
-          Vous savez Mr, dans notre culture, on dit souvent que ce sont les morts qui s’enterrent eux-mêmes ! il y a une heure à peine, je ne vous connaissais pas ; depuis deux jours, bien que la banque vous éconduit, vous revenez toujours espérant avoir quelque chose ; je crois que c’est votre fils qui vous guide vers le chemin à prendre pour lui assurer des obsèques dignes ;
-          Je ne vous connais même pas !
-          Ce n’est pas important ! l’essentiel est que vous assuriez un enterrement décent à votre fils et cela, de façon intègre ; je préfère y participer aussi.
-          Merci du fond du cœur ; merci pour ce geste ; le Seigneur vous le rendra au centuple ; soyez bénie ma fille.
-          Je vous en prie Mr ; prenez ce chèque et partez vite vous occuper de l’enterrement !
Et c’est ce qu’il fit !
Je n’ai jamais cru au hasard ! Pourquoi ce soit moi qui reçoive aujourd’hui ce monsieur, je n’en sais rien ; tout ce dont je suis sûr, c’est qu’il m’a passé un message très fort dont j’ai su saisir heureusement la teneur à tant.
Oui, je n’ai jamais cru au hasard.
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